À l’occasion de la COP27 qui aura lieu en Égypte, un press briefing portant sur les enjeux de ce rendez-vous pour l’Afrique, s’est tenu le 27 octobre à Bruxelles avec la participation de Mo Ibrahim, le milliardaire soudanais également président d’une fondation membre de de la Fondation Afrique-Europe.
C’était en mars 2020, que la Fondation Mo Ibrahim lançait avec les Amis de l’Europe, la Fondation Afrique-Europe, une nouvelle structure en partenariat avec l’African Climate Foundation et ONE, dans le but d’organiser des partenariats pour « transformer en opportunités » les relations entre les deux continents.
Le discours engagé de Mo Ibrahim
Réputé pour son franc parler, Mo Ibrahim a pris la parole pour évoquer plusieurs sujets concernant les changements climatiques et leur implication pour l’Afrique. Ainsi, il a parlé de la baisse d’intérêt des populations pour la question écologique, des énergies renouvelables, de gaz et d’électricité.
D’après le dernier rapport du think thank australien Institute for Economics and Peace (IEP) sur les menaces écologiques, entre 2019 et 2021, il y a une baisse de – 1,5% de l’intérêt des opinions publiques dans le monde sur le climat, avec de fortes chutes en Namibie et en Zambie.
Pour le soudanais, ce rapport et ces chiffres ne sont pas surprenants. Il y a répondu en déclarant qu’on ne pouvait pas attendre d’une population qui n’a pas de courant, de s’intéresser au climat puisqu’elle n’émet rien. En effet, en Afrique, 600 millions de personnes, soit la moitié de la population, n’ont pas accès à l’électricité.
Victime réduite au silence
En janvier dernier, la Fondation Afrique-Europe organisait un panel de haut niveau portant sur l’énergie et le climat, durant lequel des experts ont reconnu les inégalités profondes qu’il existe entre l’Afrique et le reste du monde, notamment l’Europe, en matière d’énergie et de climat.
En effet, l’Afrique avec ses 17% de population globale ne compte que pour 3,4 % de la consommation d’énergie dans le monde. Tandis que l »Europe qui ne représente que 5,8 % de la population du monde, consomme 10,4 % de l’énergie.
Par ailleurs, seuls 4 pays à savoir l’Égypte, la Tunisie, les Seychelles et Maurice, assurent un accès universel à l’électricité sur le continent. Un mix énergétique qui est bien meilleur que celui des pays européens. Et l’une des missions de la Fondation Mo Ibrahim est de briser les préjugés sur la consommation en énergie dans le monde.
Ibrahim a rapporté que 22 pays africains dépendent essentiellement des énergies renouvelables. Pendant que le continent entier émet 3% des émissions globales annuelles, le Bassin du Congo en absorbe à lui seul, 4%. En d’autres termes, l’Afrique a un bilan d’émissions négatif.
Pour Ibrahim, personne n’a de leçons à faire aux africains en terme d’adaptation car l’Afrique est déjà plus verte que quiconque. D’après lui, il faut surveiller cette situation d’inégalité qui s’aggrave car elle crée du ressentiment. Ibrahim a également évoqué ses regrets quant au fait que l’Afrique n’avait pas de voix dans les discussions internationales, alors que jusqu’ici, c’est elle qui paie à un prix très élevé, la facture du changement climatique pourtant produit d’autres régions du monde.
Guerre en Ukraine et redistribution des cartes
Lors de la COP26 qui s’était tenue à Glasgow, une quarantaine de pays et d’institutions de développement, notamment la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis, avaient annoncé qu’ils ne soutiendraient plus de projets d’investissement dans les énergies fossiles à l’étranger d’ici à la fin de l’année 2022.
Mais, c’était évidemment sans compter sur la guerre en Ukraine qui a redistribué les cartes. Car depuis ces événements, c’est l’Afrique qui est désormais courtisée pour son gaz et qui se trouve en position de force pour discuter de ses besoins lors de la COP27 avec pour principal objectif que le gaz naturel soit considéré comme une énergie de transition, au même titre qu’en Europe. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui a plus besoin de l’Afrique et non le contraire. Car, tous les minéraux nécessaires aux technologies vertes se trouvent en Afrique.
Comme iI fallait s’y attendre, Mo Ibrahim a relevé l’hypocrisie des européens concernant le gaz qui est bon pour leur transition mais qui ne le serait pas pour les africains. En Europe, le gaz est utilisé pour pratiquement tout, mais pas pour des questions de survie. Alors qu’en Afrique, si toute l’Afrique subsaharienne en dehors de l’Afrique du Sud, tournait au gaz pour permettre un accès universel à l’électricité, les émissions n’augmenteraient que de 1,6 %, selon la Fondation Afrique-Europe. Selon Ibrahim, il ne faut pas prendre le continent pour acquis et lui donner des instructions, car il a beaucoup de partenaires.
Priorité sur l’accès à l’électricité universelle
Les 10 pays les plus vulnérables au climat sont tous africains. Partant de là, pour Mo Ibrahim, la priorité en termes de climat pour l’Afrique est d’envisager la transition avec une vision claire et de permettre l’accès de tous au courant électrique.
Il faut maintenant savoir comment y arriver et comment faire pour renforcer la résilience de ces pays puisque les prêts d’un montant de 100 milliards de dollars par an, dont il était question à partir de 2020 lors de l’accord de Paris pour que les pays du Nord aident les pays du Sud à faire face au dérèglement climatique, ne se sont pas matérialisés.
Selon Ibrahim, la solution relève du libre jeu du marché. Il faut laisser faire le marché, traiter le carbone comme un bien commun qui a un prix global qu’il faut payer pour avancer. Mais il ne se fait pas leurrer et reconnaît que le problème principal des africains ce sont ses dirigeants qui ne pensent qu’aux prochaines élections et non aux questions urgentes qui vont sur le long terme.
Ibrahim n’a pas caché qu’il n’avait pas de grandes attentes quant à la COP27 et a partagé son inquiétude sur le manque de discussions et d’accords qui se profile. Entre la guerre en Ukraine et les chocs internationaux qui y sont associés qui ont détourné l’attention de certains dirigeants de la question du climat et la compétition entre puissances qui rend plus compliquée la coopération nécessaire, avec une vision de long terme, pour Ibrahim, il est clair que:« Nous avons probablement détruit l’avenir de nos enfants et petits-enfants« .