Après sa visite de travail effectuée le lundi 5 septembre 2022, dans la station d’Akomnyada, le ministre camerounais de l’eau et de l’énergie a demandé à la société Camwater de prendre sous huitaine toutes les mesures qui s’imposent en vue de garantir le niveau de production de la station. Des exigences qui semblent utopiques pour la société qui n’a pas hésité à exposer son point de vue.
À titre de rappel, la station d’Akomnyada a été construite en 1985 et a déjà subi deux rénovations. Aujourd’hui, elle ne représente rien d’autre qu’un scandale technique et un gouffre financier pour l’État du Cameroun.
Les conséquences de la mal gouvernance
Au moment de sa construction, la station d’Akomnyada avait une capacité de 100.000 m³. Un niveau d’eau qui était certainement suffisant pour l’approvisionnement des villes de Yaoundé et Mbalmayo à l’époque.
Cette capacité devenue insuffisante, la station a été rénovée à 2 reprises afin d’atteindre les 300.000 m³ nécessaires. Un travail confié aux sociétés étrangères General Electric et Environmental and Chemical Corporation.
En 2022, les rénovations qui étaient censées être livrées en 2013, sont toujours attendues. Seuls deux constats ont pu être faits : la station a juste servi à engloutie des dizaines de milliards déboursés pour sa construction et sa rénovation et le comble, sa capacité de production réelle ne dépasse pas les 130.000 m³, soit une capacité très en dessous de ce qui est requis pour couvrir la demande de Yaoundé uniquement.
Les problèmes autour de la pénurie d’eau potable
Avant de commencer à dresser une liste de tous les problèmes qui expliquent ce manque d’eau à Yaoundé, il faut rappeler le contexte de la situation.
Pour rappel, en 2021, le taux de couverture nationale en eau potable est passé de 33 à 45% uniquement. Quand on sait qu’il y a 12 ans, des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire étaient respectivement à 78% et 62% de taux de couverture (eux aussi, visiblement victimes de la mal gouvernance), ça donne une idée d’à quel point le gouvernement camerounais a échoué dans cet exercice.
L’objectif de 75% fixé pour 2015 n’a ni été atteint cette année-là, ni celle-ci. Aujourd’hui, le gap est toujours de plus de 27%. Un exemple des difficultés de l’Etat camerounais qui a pendant longtemps, abandonné la question d’adduction d’eau aux ONGs et autres donateurs étrangers se contentant simplement de faire l’accompagnement.
Maintenant qu’il est dos au mur et dans l’incapacité de contourner le problème, le gouvernement essaie de rejeter toute la faute sur Camwater. Un acte que les ingénieurs locaux qualifient de mauvaise foi. Ils remettent en question le travail effectué par les étrangers et accusent les autorités camerounaises qui ont préféré l’expertise importée au profit du savoir-faire local, qui en plus de signifier la confiance de l’Etat en ses talents, aurait contribué à créer des richesses sur le plan local.
Quelles solutions peut-on apporter ?
Résoudre le problème d’eau potable au Cameroun sur le long terme, c’est accepter d’affronter les questions liées à l’environnement institutionnel et à la mobilisation des ressources nécessaires.
Bannir la centralisation de l’eau
Premièrement, il s’agirait de mettre fin à l’hypercentralisation de la production et de la distribution de l’eau. Le Cameroun dispose de près de 103 stations urbaines d’eau potable et de plus de 3000 stations et points d’eau ruraux mais, la gestion reste centralisée.
En 2005, le gouvernement avait fait le choix de l’administration en opérant la séparation de la construction des infrastructures (Cameroon Water Utilities Corporation, Camwater) de la production et de la commercialisation de l’eau potable (Camerounaise Des Eaux, CDE), ceci sans apporter pour autant une solution à la question de financement et d’assainissement. Mais, cette solution administrative n’a fait que compliquer la tâche et encourager un peu plus la mal gouvernance car désormais, il y a 11 ministères différents qui interviennent sans coordination dans les questions d’assainissement de l’eau.
Cette centralisation crée une espèce de monopole et un problème grave d’inclusion sur la question de l’eau potable puisque seules la Camwater et la CDE ont le droit d’agir. Cela pénalise énormément les sociétés centralisées qui se retrouvent dans l’incapacité d’approvisionner l’ensemble du pays. La seule solution pour résoudre ce problème est la décentralisation de la question de l’eau au Cameroun, en donnant la responsabilité à chaque commune. Mais là encore, se pose un problème majeur car la loi sur la décentralisation tarde à être appliquée.
Améliorer l’aménagement territorial
Actuellement, il est difficile de faire un schéma directeur de l’hydraulique et de procéder aujourd’hui à une adéquation entre la demande et l’offre, faute d’un plan directeur national.
Le dernier recensement de la population camerounaise date de 2005. En d’autres termes, cela fait 17 ans qu’on n’a pas une idée exacte du nombre de personnes et de ménages qui ont besoin d’approvisionnements d’eau. Ne pas connaître ces données importantes rend très difficile le fait d’établir une quelconque planification.
Avoir recourt aux investissements privés
Grâce au nouveau cadre juridique, il devrait y avoir la libre concurrence dans la production et la distribution de l’eau potable au Cameroun. L’État et les communes ne pouvant pas trouver tous les moyens nécessaires à l’investissement concomitant sur l’ensemble du territoire national, la nécessité d’avoir recours à des investisseurs privés est plus que jamais réelle. Ceux-ci devraient être intéressés pour assurer la construction de nouvelles stations de traitement des eaux, le renouvellement des équipements, des conduites, des branchements existants en vue de sécuriser l’alimentation en eau potable.
Investir dans l’entretien de l’eau
Actuellement, il y a un grave problème d’entretien de l’eau. Il n’est pas efficace d’assurer l’adduction d’eau sans programme d’entretien. Un programme d’entretien inexistant crée automatiquement des problèmes de perte d’eau, mais aussi et surtout une situation sanitaire désastreuse.
Au Cameroun, le taux moyen de prévalence des maladies liées à l’eau et à l’assainissement est de 19%. Mais le plus grave pour les ménages c’est qu’être connecté au réseau ne signifie pas qu’ils auront droit à l’arrivée régulière de l’eau potable. Il convient donc de prévoir dans les réformes, la création d’un programme civique de suivi, de promotion d’hygiène et d’éducation à la santé.
Changer d’équipements
Avec les équipements vétustes actuels, il y a un problème de pertes substantielles d’eau en qualité et en quantité. Ces équipements datent pour la plupart, des années 1954 (complexe de Japoma à Douala) et 1980 (complexe de Massoumbou). À cause des fuites, beaucoup d’eau disparaît dans le circuit de distribution et les pannes dans les unités vétustes de production se multiplient.
Il n’y a pas eu d’investissements sur les infrastructures depuis les années 1960, ce qui cause la pénurie d’eau au Cameroun. Malgré de nombreux essais, l’ancienne SNEC n’a pas pu procéder à son redressement. Et aujourd’hui, elle veut retourner 30 ans de mauvaise gestion au moyen de la production et la distribution de l’eau camerounaise.
Pourtant, ce redressement ne passera que par la rationalisation des dépenses, la sécurisation des recettes et l’amélioration des mécanismes de transparence autour de la gestion des portefeuilles afin d’assurer le respect des cahiers des charges. Avec la gestion actuelle, appeler ce plan fantaisiste ne serait qu’un doux euphémisme.
Redynamiser l’action commerciale
En 2019, le Cameroun ne comptait qu’environ 450 000 abonnés dans 105 centres commerciaux. Et la stagnation de ces chiffres témoigne bien de la passivité et du laxisme du service commercial actuel. Le service après-vente n’est pas fonctionnel et tout le monde peut témoigner du manque de réactivité des interventions sur le terrain. Tous ces points en moins engendrent d’énormes pertes dans le circuit de distribution. Des pertes qui s’accumulent également dans les impayés. Par exemple, au 30 juin 2022, l’entreprise réclamait 10,3 milliards de FCFA à l’État pour factures impayées.
La solution pour redynamiser ce secteur, c’est d’intensifier les campagnes de branchement des particuliers en vue d’augmenter le nombre d’abonnés et d’assurer la rationalisation de la distribution de l’eau selon un planning alternatif connu. Connecter les foyers leur permettrait d’avoir un minimum d’approvisionnement. Il faut également et impérativement renforcer le service après-vente afin de limiter les pertes d’eau au niveau des tuyaux défectueux du réseau et enfin renforcer le service de recouvrement en vue d’amortir les problèmes de trésorerie de l’entreprise.
Améliorer la gestion des ressources humaines
Il faut le dire, le secteur de l’eau, comme beaucoup de secteurs d’activités au Cameroun, va mal. Entre manque de prime de productivité et le gel des avancements et reclassements, le personnel est très démotivé en plus de ne pas être recyclé.
Les conséquences de cette situation se sont fait ressentir à travers les pertes en efficacité et la montée de mouvements d’humeur gangrenant le fonctionnement de l’entreprise. À ce jour, la situation reste assez similaire et les solutions aussi. Il faut assurer le paiement des arriérés de salaires du personnel mais aussi et surtout le changer au besoin.
Le secteur de l’eau peut-il être sauvé ?
Même si le chemin est très long, la réponse est oui. Mais pour y arriver, l’état doit prendre ses responsabilités et mettre sur pied des politiques inclusives et incitatives qui vont encourager les initiatives privées à investir et multiplier les constructions de forages et autres châteaux de moindre envergure qui permettront de combler les déficits au niveau local et enfin, au niveau national. Car ce n’est certainement pas en 8 jours comme le MINEE l’a exigé à la Camwater, que le miracle s’opérera.