Depuis plusieurs mois déjà, l’Afrique et le monde sont témoins de la détérioration des relations entre Paris et Bamako. Avec des invectives qui n’en finissent pas, des accusations de toute part, le divorce semble bel et bien consommé entre les anciennes nations alliées. Une union qui se termine mal certes, mais comment les deux partis en sont arrivés à ce stade ? De simples tensions à la rupture totale des relations diplomatiques entre les deux pays, que s’est-il passé ? Pourquoi le gouvernement malien est aussi courroucé et quelle influence le cas malien peut avoir les autres pays du continent ?
France et Mali : Le début de la coopération
Le 1er août 2014, l’opération militaire baptisée Barkhane, est lancée par la France avec la collaboration de cinq pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) dans le but de stopper l’expansion du terrorisme dans la région du Sahel, qui a pris une ampleur considérable après la chute du gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi à laquelle la France a pris part. L’opération Barkhane remplaçait l’opération Serval lancée le 11 janvier 2013 pour stopper la progression des groupes rebelles armés du nord vers Bamako, le but étant de donner un cadre juridique à l’intervention militaire des forces françaises Barkhane et européennes Takuba.
La coopération entre les deux pays se poursuit longtemps sans encombre. Même après le coup d’Etat à l’encontre d’Ibrahim Boubacar Keïta -supposément à l’origine de tous les maux- que les autorités françaises comme maliennes jugent particulièrement incompétent surtout en matière de sécurité. « Les relations de travail entre le commandement de Barkhane et l’état-major malien étaient excellentes », a même affirmé un haut responsable français.
Cependant les relations entre les deux pays commenceront peu à peu à se dégrader, en particulier lorsque le gouvernement malien voudra faire valoir sa souveraineté et son désir de diversifier ses partenaires, se rapprochant à cette occasion de la Russie au grand désarroi de la France.
La montée des tensions
Le président Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, dont les relations avec la France sont plus que correctes veulent se débarrasser des colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité, dont ils n’apprécient guère l’influence grandissante. Malheureusement pour eux, ils ne parviendront pas à leurs fins et se feront eux-mêmes renverser par les colonels, un retournement de situation jugé inacceptable par l’Elysée qui s’en prend au tout nouveau gouvernement malien à répétition dans les médias.
Les propos d’Emmanuel Macron – qui prendra également la décision à ce moment de diminuer effectifs de l’opération Barkhane de 5.100 à moins de 3.000 hommes, une décision qualifiée par les autorités maliennes de « lâchage en plein vol » – se font tous les jours plus acerbes à l’encontre de la junte qui ne tardera pas à y répondre. On assiste dès lors à une véritable escalade des tensions entre les deux pays qui se lancent des attaques aussi souvent que possible par médias interposés.
Le Mali juge que la France met à mal sa souveraineté et se comporte comme un maître colon qui peut agir comme bon lui semble sur territoire. La France elle considère le nouveau gouvernement malien illégitime et pointe du doigt le partenariat Russe.
De nombreux éléments dont l’expulsion de l’ambassadeur français par le gouvernement malien, les accusations de violation de son espace aérien et d’espionnage faites par le Mali à l’encontre de la France achèveront donc de rompre cette union déjà sur la corde raide.
La rupture des accords : à qui la faute ?
Des mois d’invectives finiront donc par mener à ce à quoi les experts géopolitiques s’attendaient : la rupture des accords entre les deux pays.
Le changement de gouvernement, la volonté du gouvernement Malien d’affirmer sa souveraineté et le nouveau partenariat avec la Russie ennemi et cible de tout l’Occident depuis le début de la crise Ukrainienne, auront été les principales raisons de la rupture entre les deux pays.
Bien des tords peuvent être reprochés au gouvernement malien particulièrement sur les questions d’ordre démocratique. Une prise de pouvoir à la suite d’un putsch reste totalement en désaccord avec les lois d’un Etat qui a décidé de choisir un régime démocratique et reste critiquable. Toutefois, l’ambivalence de la position française à ce sujet reste tout de même un élément à souligner.
Pour l’Elysée l’origine du conflit remonterait au putsch qui mènera au changement de gouvernement au Mali, cependant cet état de fait ne semblait pas perturber le gouvernement français lors du premier putsch et n’est devenue un objet de conflit que dès que les dirigeants de ce gouvernement putschiste ont été changés. Et alors qu’une collaboration avec un gouvernement non élu démocratiquement hérisse les poils de la France en ce qui concerne le Mali, elle ne semble pas non plus outrée d’apporter son soutien au gouvernement tchadien dans la même situation.
En ce qui concerne le partenariat avec la Russie, dans le scénario occidental, la Russie est l’antagoniste, responsable de tous les maux et ces pays souhaitent vivement ou plutôt exigent que le reste du globe partage cette perception et participe à la vindicte contre la Russie, même lorsque ces autres pays n’ont rien à voir avec le conflit Russo-Ukrainien. La France en tant que pays libre est dans son droit le plus absolu de refuser de coopérer avec la Russie pour toute raison qu’elle juge légitime d’évoquer. Cependant il serait tout de même malvenu de s’attendre à ce qu’un autre pays lui-même indépendant ne puisse pas avoir lui-même ce droit de choisir les pays avec lesquels il souhaite s’allier.
La France reste très attachée à sa position de leader en Afrique, une position qui garantit la sauvegarde de ses intérêts mais est également le symbole de son influence dans le monde. Voir cette position contrariée par les dires d’un gouvernement auparavant allié (et des décennies plus tôt subalterne) ou par la présence d’un pays ennemi a été très mal vécu par la France qui n’a cessé de se servir de son influence dans le but d’isoler diplomatiquement le Mali et ce même par le biais de la CEDEAO.
Une suite possible ?
En l’état actuel des choses il est difficile d’imaginer une suite entre les deux pays qui jusqu’à présent et ce malgré la rupture des accords de Barkhane et le départ des forces françaises du territoire malien, continuent de s’attaquer dans tous les médias.
Il y a à peine une semaine, le Mali a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU une réunion d’urgence pour faire cesser « les actes d’agression » de la France sous forme de violations de sa souveraineté, et de soutien apporté aux groupes jihadistes et d’espionnage. Les Nations unies n’ont toujours pas répondu à la demande des autorités maliennes. Le ministre Diop menace même d’user de la légitime défense face à ces agressions. La tension entre les deux est telle que Macky Sall le président Sénégalais a pris il y a quelques jours la décision de servir de médiateur entre Bamako et l’Elysée.
Il est difficile de savoir quelle influence la posture malienne pourrait avoir sur d’autres pays du continent dans leur rapport avec la France mais il faut tout de même noter de nombreux autres pays à l’instar du Tchad ou de l’Afrique du Sud ont au courant des derniers mois manifesté contre la présence française sur leur territoire.
La France est désormais mise face à ses manquements et ses incohérences dans la gestion de ses rapports avec les pays Africains. Si elle tient à rester présente sur le continent elle doit désormais changer de stratégie et ne plus donner aux pays Africains la sensation d’être des éternelles colonies avec son interventionnisme, son jugement, son implication face à toute prise de décision avec l’exemple du Franc CFA et sa participation aux réunions sur les questions économiques et monétaires du continent quand l’inverse ne serait pas possible, et d’adopter une ligne de conduite et un discours clair quant à ses actions sur le continent. Sans ces différents éléments on n’est pas à l’abri de nombreuses autres « situations maliennes » en Afrique où le sentiment anti-français semble prendre de plus en plus d’ampleur.