La Guinée a vécu des heures sombres le 28 septembre 2009. En pleine crise socio-politique, les guinéens se retrouvent gouvernés par un groupe d’officiers qui ont à leur tête le Colonel Moussa Dadis Camara. Cela fait 9 mois qu’ils ont pris le pouvoir en instaurant une transition de force suite à la mort du Général Lansana Conté. Pour contrer les rêves de grandeur de Camara, l’opposition en appelle à une manifestation pacifique au grand stade de Conakry. Ce jour marquera à jamais le peuple guinéen.
13 ans après le massacre de Conakry, la Guinée se prépare à vivre un procès historique aux enjeux importants non seulement pour son peuple, mais également pour la junte militaire au pouvoir, dont le régime a récemment connu des cassures.
Le massacre de Conakry
Lansana Conté décédé, Dadis Camara et les siens se jettent sur le pouvoir au moyen de la force. Inquiets qu’il ne veuille s’étendre au pouvoir, les membres de l’opposition appelle à un rassemblement en vue de dénoncer la possible candidature de Camara.
Conakry va alors vivre des heures sombres de son histoire. Le bilan fait état d’au moins 156 morts, des centaines de blessés, au moins 109 femmes victimes de viol et autres formes de violences sexuelles et jusqu’à présent, des dizaines de personnes toujours portées disparues. Des faits confirmés en janvier 2010 par une Commission nationale d’enquête indépendante établie par l’Etat.
En février 2010, un collège de juges guinéens est nommé pour enquêter, les inculpations s’enchaînent et très vite, l’aide de camp de Dadis Camara, Abubakar » Toumba » Diakité, est mis en examen. Ensuite en juillet 2015, c’est au tour de l’ancien chef putschiste d’être poursuivi pour des faits de complicité de meurtre, tentative d’assassinat, enlèvement, séquestration et viol.
La Guinée est à ce moment-là, dirigée vers Alpha Condé qui, malgré la pression internationale, ne semble pas très enclin à organiser le procès autour des événements de 2009. Ainsi, la situation va stagner pendant un long moment jusqu’en septembre 2021 où une nouvelle junte militaire renverse le régime Condé et promet la justice sur le massacre du stade.
Dadis Camara et les autres accusés
Moins de trois mois après la tragédie, Dadis Camara, victime d’une tentative d’assassinat, est écarté du pouvoir. Sorti du pays pour se soigner, il finit par vivre en exil hors de la Guinée. Lui qui a toujours clamé son innocence, a fait son grand retour dans son pays dimanche matin.
Un retour qui signe peu à peu sa présence dans le box des accusés lors du prochain procès. Son avocat Me Pépé Antoine Lama l’a d’ailleurs rappelé, Dadis Camara a toujours voulu rentrer en Guinée pour faire face aux juges et donner sa version des faits.
Au total, ce sont 12 personnes qui devront répondre de leur responsabilité présumée dans le massacre de 2009. Il s’agit entre autres de grandes figures du CNDD. Cependant, la situation des suspects n’est pas fixe. Pendant que certains sont en détention préventive depuis plusieurs années, d’autres comme le colonel Moussa Tiégboro Camara, comparaîtront libres. Malgré son inculpation, Tiégboro Camara avait réussi à conserver son poste au sein du gouvernement guinéen en tant que secrétaire général à la présidence en charge des services spéciaux sous Alpha Condé.
Décédé en août 2021, le Général Mamadouba Toto Camara, ex numéro 2 de la junte, ne pourra pas répondre aux juges. D’après le ministre de la justice, tous les accusés font désormais l’objet d’une interdiction de quitter le pays.
Derniers préparatifs
Avec le retour d’une nouvelle junte et leur promesse de justice, l’affaire du massacre de Conakry revient sur la table et connaît un véritable coup d’accélérateur le 14 juillet dernier, puisque le président de la transition a instruit le garde des Sceaux de prendre toutes les dispositions en vue d’organiser le procès, au plus tard le 28 septembre 2022. Un comité de pilotage est immédiatement réactivé et placé sous la direction du ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright.
Pour accueillir ce procès historique, la Guinée a mis les petits plats dans les grands. Un tribunal ad hoc a été créé et un bâtiment spécial a été construit. La salle d’audience a été construite de manière à ce qu’elle puisse recevoir un maximum de personnes pour suivre les débats.
Depuis décembre 2017, l’instruction du dossier grâce auquel 400 victimes ont pu être entendues, est close. Seule la construction du tribunal retardait l’ouverture du procès et rendus à quelques heures dudit procès, l’on constate que les travaux lancés en janvier 2020 par Condé, ne sont pas totalement achevés.
Les 13 magistrats désignés pour constituer le tribunal ont suivi une formation de 3 semaines afin d’être bien préparés et prêts à faire face à l’ampleur du procès et ses spécificités telles que les violences sexuelles. Tandis que le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, est attendu à Conakry pour l’ouverture du procès. Khan a été sollicité après le massacre et s’est régulièrement rendu en Guinée depuis 2010, sans jamais décider de se saisir du dossier, qu’il a maintenu en « examen préliminaire ».
Le test de Doumbouya
Même si la tenue de ce procès a été saluée par les organismes internationaux, notamment Human Rights Watch, il est important de noter que l’ouverture du procès représente de « nombreux obstacles » qui sont d’ailleurs à l’origine de la traîne de cette quête de justice.
La bonne tenue de ce procès est donc un test pour le régime actuel en Guinée. C’est la première fois que des anciens dirigeants qui ont côtoyé le pouvoir, vont être jugés pour leurs crimes. Une manière non seulement d’interpeller les dirigeants actuels mais aussi une opportunité pour eux de redorer le blason guinéen sur la question du respect des droits humains.
Si Doumbouya le président actuel veut à tout prix en finir avec cette histoire, c’est parce que contrairement à l’ancien président Condé, il n’y est pas directement lié. Durant son mandat, Condé avait autour de lui, des gens dont les noms figuraient sur les listes des accusés.
Le 22 septembre dernier, l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ont écrit une lettre au président de la Transition dans laquelle elles ont exprimé leur souhait de voir un procès tenu « dans le respect des règles et des standards internationaux », et qui « permettra aux victimes d’obtenir justice, vérité, reconnaissance de leur statut et réparation ».
Me Alpha Amadou DS Bah, l’avocat des parties civiles a déclaré être rassuré par les conditions d’ouverture du procès et d’y aller en restant vigilant. Pendant ce temps, certains avocats de la défense ont exprimé leurs craintes, Me Lama a d’ailleurs mis en garde les magistrats en charge de l’affaire, de ne pas tomber sous le coup de pressions guidées par l’émotion ou par des intérêts politiques.
Ce 28 septembre 2022, jour de l’anniversaire de la tragédie de Conakry, 11 prévenus feront face aux 450 parties civiles, lors de ce procès qui pourrait durer plus d’un an, selon le ministre guinéen de la Justice. Malgré quelques manquements en termes d’immobilier dans le bâtiment flambant neuf, le garde des Sceaux a tenté de rassurer les parties civiles, affirmant que « la salle d’audience serait opérationnelle le 28 septembre ».