Nigéria : La fin du confinement, une délivrance pour les victimes de violences conjugales

Nigéria : La fin du confinement, une délivrance pour les victimes de violences conjugales Actualité & Info | Éditions Afrique

Nigeria, septembre 2019. Le jour où tout a basculé pour Chinaza, une jeune fille de 12 ans dont le nom de famille ne sera pas divulgué. Un soir, alors que ses parents se rendent à l’église, la jeune Chinaza est restée toute seule à la maison à Suleja, un État du pays. C’est à ce moment que l’irréparable se produit. Un voisin, un homme beaucoup plus âgé entre et viole la jeune adolescente. Chinaza tombera enceinte de ce criminel.

Les parents, fous furieux à la suite de cet incident, font immédiatement faire un examen à leur enfant afin de confirmer le viol dont elle a été victime. Les parents de Chinaza porteront ensuite l’affaire devant le tribunal où ils présenteront le certificat médical du viol. Malheureusement, cette famille va voir ses espoirs que justice soit rendue s’amoindrir et s’évaporer au fil du temps et pour cause, le tribunal chargé de juger l’affaire va perpétuellement l’ajourner. Mais ceci n’est pas une surprise, en effet, le système judiciaire Nigérian est réputé pour sa lenteur à effectuer son travail.

Justice lente, mort à petits feux

Cette famille ne sera pas au bout de ses peines car, pendant qu’elle était dans l’attente de justice elle courait aussi pour sa vie.

Selon la victime, son bébé et elle seraient en danger car l’auteur du crime, en voulant à tout prix se sauver, cherche à les tuer pour enterrer les preuves de son acte.

Chinaza et sa famille prennent la fuite afin de sauver leur vie. En 2020, après plusieurs mois de fuite, ils finissent par entrer en contact avec la D.N. Foundation, située à Abuja, la capitale du pays. La D.N. Foundation est un refuge privé pour les survivants de violences sexuelles et sexistes (VSS).

Aujourd’hui âgée de 15 ans, l’adolescente désormais maman, vit toujours au refuge avec son enfant. Interviewée par Al Jazeera, Chinaza elle déclare : « Depuis que je suis arrivée au refuge, mon esprit est [au] repos parce qu’il y a la sécurité ». Elle ajoute : « Quand j’étais à la maison, nous courions partout pour trouver un endroit où dormir ».

Une tendance générale et des chiffres effrayants

Si l’histoire de Chinaza est triste et bouleversante, elle n’est malheureusement pas la seule. Chinaza n’est qu’une énième victime parmi tant d’autres ; au Nigeria, cette tendance est très bien implantée et couverte. Son histoire, comme celles des autres, fait partie d’un large schéma de violence contre les femmes et les filles.

En 2018, le Nigeria est classé comme le neuvième pays le plus dangereux au monde pour les femmes, selon une enquête de la Fondation Thomson Reuters. Les Nations Unies ont également déclaré que jusqu’à 48 % des femmes et des filles au Nigeria ont déjà subi une forme de violence.

Le covid, ennemi des victimes.

Ces chiffres ont explosé en 2020 pendant le confinement induit à cause du Covid-19. Durant cette période, plusieurs rapports ont révélé un pic de violence entre partenaires intimes, allant jusqu’à 69 % dans tout le pays. Juin 2020 marque la naissance sur les réseaux sociaux, du mouvement #WeAreTired. Cette campagne, lancée par les utilisateurs de réseaux sociaux à travers le pays, voit le jour après que de nouvelles victimes soient connues. Il s’agissait de Vera Uwaila Omosuwa, une étudiante en microbiologie âgée de 22 ans, et Barakat Bello, 18 ans, qui ont été violées, puis tuées, tout ceci en l’espace de cinq jours dans différentes régions du Nigeria.

Le Covid-19 n’a pas que fait des morts dans les hôpitaux. Cette pandémie qui a frappé le monde tout entier, paralysant les économies et forçant les pays à se mettre en quarantaine, a également servi à augmenter le nombre de victimes de violences conjugales. Victimes et bourreaux vivant tous sous le même toit chaque jour, les chances que les chiffres augmentent étaient très fortes.

À mesure que la pandémie de covid s’installait, les chiffres grimpaient. À Lagos, une autre ville nigériane, une augmentation estimée à 40 % des viols et des violences domestiques a été signalée en 2020.

Des efforts individuels

Dorothy Njemanze, est une survivante de la violence liée au sexe. Elle a décidé pendant la période de quarantaine, d’intensifier les opérations de l’association dont elle est à la tête. Son action consistait à lancer un refuge pour d’autres survivants qui n’ont nulle part où aller.

Au Nigeria, il y avait déjà la Abuja Environmental Protection Board, une agence de réglementation qui avait été accusée à plusieurs reprises de violences sexuelles graves à l’encontre des femmes et des filles dans la capitale nigériane. C’est ainsi qu’en 2012, Njemanze avait fondé la D.N. Foundation. Une association dont le but était en partie de poursuivre la redoutable agence de réglementation.

Par ailleurs, la fondation de Njemanze qui avait surtout fonctionné comme une entité légale, aidait les survivants incapables d’accéder à la justice tout en sensibilisant les femmes sur la question de leurs droits.

C’était jusqu’à ce que la pandémie frappe, et que Njemanze et son équipe soient inondés d’appels de survivants. Dès lors, ils ont donc commencé à les héberger dans des hôtels. À partir de juin 2020, ils ont lancé une campagne d’appels aux dons en ligne, qui représentaient l’élément vital du refuge.

Les limites de la fondation

Au-delà de l’aspect physique, les violences ont des conséquences psychologiques néfastes sur les victimes. Celles-ci sont dans certains cas, beaucoup plus difficiles à supporter pour celles-ci. Les besoins des survivants s’étendent sur les plans émotionnels, physiques et médicaux. La responsabilité de gérer ces besoins uniquement à partir des dons « absolument insuffisants » que la fondation reçoit a mis beaucoup de pression sur l’équipe, a confié Njemanze. En d’autres termes, la fondation a besoin de beaucoup plus d’aide afin de continuer à mener à bien sa mission.

« Il faut noter que les premiers intervenants qui travaillent avec nous sont grossièrement sous-payés », a-t-elle ajouté. « Mais comme elle est dirigée par des survivants, les gens sont prêts à faire le travail simplement parce qu’ils connaissent le besoin. »

L’essentiel du travail de la fondation reste à Abuja, la capitale du pays. Cette ville de plus de 3 millions d’habitants, ne compte qu’un seul refuge géré par le gouvernement pour les survivants de violences sexuelles – un établissement d’une capacité de quatre personnes. Au Nigeria, seuls quelques-uns des 36 États disposent même de refuges.

À la lecture de tout ceci, la question qui se pose est de savoir que fait la loi nigériane sur le sujet ? Concernant les problèmes de santé nationale, la loi nigériane promulguée en 2014, oblige le gouvernement à affecter 1% du fonds de revenu consolidé, un compte géré par le gouvernement fédéral, aux services de santé et d’urgence. Mais 1%, c’est insuffisant. Quand on lit les chiffres et connaît les statistiques, 1% pourrait même être considéré comme une insulte pour ces victimes. 1% serait l’équivalent d’une goutte d’eau dans l’océan, quand bien même le montant auquel il renvoie serait utilisé dans son intégralité, c’est-à-dire sans passer par la case détournement et corruption, le résultat serait le même.

Une fois de plus, on se demande quelle est véritablement la place de la femme et de la jeune fille dans la société, quand on voit les moyens très insuffisants qu’on met à la disposition d’organes chargés de leur assurer santé et protection. Sans oublier la justice qui délaisse complètement ses responsabilités ; au Nigeria comme ailleurs, nous vivons dans un monde où les droits de la femme sont bafoués et aucun des responsables n’est ni inquiété ni puni.

C’est donc sans aucune surprise si au Nigeria, les organisations de la société civile et les groupes pro-femmes affirment que le gouvernement ne respecte pas cette disposition. Ce non-respect a pour conséquence l’absence de systèmes de soutien pour les survivants. En outre, le manque criard de refuges est un facteur de la généralisation de la violence contre les femmes, ajoutent-elles.

La réponse du gouvernement.

À la suite de toutes ces accusations, Olujimi Oyetomi, directeur de presse au ministère de la Condition féminine, insiste sur le fait que le gouvernement en fait assez pour soutenir les survivants de violences sexuelles et sexistes.

Il déclare à Al Jazeera que : « Ce n’est pas que le nombre [de] refuges soit inadéquat ni que cela indique l’inaction du gouvernement ». « Cela a à voir avec le fait que les gens ne signalent pas les cas de violence sexiste. »

Aussi révoltant que cela puisse être, nous devons reconnaître qu’il soulève un point important. Point qui ne joue pas en la faveur du gouvernement car il démontre une fois de plus son inaction et ses limites à assurer la protection et des victimes et des personnes qui auraient l’intention de dénoncer les bourreaux.

D’ailleurs, Wuraoluwa Ayodele, fondatrice de Women Safe House, un refuge à but non lucratif pour les femmes à Ibadan a déclaré que le fait que moins de cas soient signalés peut également être dû à un manque de protection pour les femmes qui ont déjà signalé des abus.

Que faut-il attendre d’un peuple las d’abus et d’injustices à répétition ? Dans un climat où les populations connaissent déjà de facto quelle sera l’issue de leur plainte, les plaintes diminuent et au pire, deviennent inexistantes. Il est bien aisé pour le gouvernement de dire qu’il n’y a pas de plaintes, puisque tout porte à croire, au vu de ses actions, qu’il y a une véritable manœuvre mise en place pour faire taire les victimes et protéger implicitement les bourreaux.

« Nous voyons des gens parler de temps en temps », a-t-elle déclaré à Al Jazeera. « Combien ont obtenu justice et combien d’entre elles sont en sécurité ? Le gouvernement ne peut pas feindre l’ignorance. »

La nécessité d’une solution à long terme.

Malgré que le refuge offre un répit aux survivants, Njemanze prévient qu’il ne s’agit pas d’une solution unique pour les survivants.

En effet, certains survivants aspirent à mieux et ne souhaitent pas que leurs vies se limitent là. Entre poursuite de leurs rêves personnels, notamment un retour à l’école ou à leur ancien emploi, les survivants veulent reprendre une vie normale. Surtout que les profils varient d’une personne à une autre.

C’est le cas de Victoria, âgée de 36 ans, maman de quatre enfants et précédemment victime de violences domestiques de la part de son mari. Elle a déclaré être partie pour ne pas élever ses enfants dans un foyer abusif. Comme de millions d’autres femmes nigérianes, Victoria alors dans l’incapacité de trouver un logement par elle-même, est restée avec son partenaire violent pendant des années, avant de découvrir l’existence du refuge.

« J’avais quitté la maison tellement de fois et j’y retournais », a déclaré Victoria. « Plus on y retournait, plus les choses empiraient. Il m’a fallu beaucoup de courage pour [enfin] partir cette année. »

Elle souhaite être réintégrée dans la société au sens large avec ses quatre enfants, mais les contraintes financières font qu’elle est une fois de plus coincée.

Comme Victoria, chaque survivant a son histoire, son parcours et ses rêves, mais les limites du système, les manques du gouvernement à leur fournir une solution durable et son incapacité à assurer leur reinsertion dans la vie active et de manière protégée, font que leur désir de vie normale soit grandement compromis, ne leur laissant autre choix que d’être perpétuellement considérés comme victimes quand bien même ils auraient réussi à traverser cette étape. Cette situation n’est pas sans conséquence. Au niveau du refuge, ce sont des personnes déjà prêtes mentalement à évoluer qui sont obligées de rester, limitant ainsi l’accès à de nouvelles victimes. Sur le plan émotionnel, ce sont des personnes qui auront l’impression de tourner en rond, de ne pas avancer et qui seront très susceptibles de (re)tomber dans une dépression. Tout ceci, ne concoure pas au bien de la société, que ce soit au Nigeria ou dans les autres pays du monde dans lesquels les survivants de violences sont livrées à elles-mêmes et ne bénéficient que de l’aide d’associations elles-mêmes très souvent et très vite dépassées.

Pour l’instant, Chinaza, Victoria et les autres membres de la Fondation D.N. peuvent s’épanouir dans une réalité suspendue, loin des vies qu’ils ont fuies. Pour combien de temps encore ? Nul ne le sait. Contrairement à elles, des milliers d’autres victimes restent coincées dans des situations de violence sans la possibilité d’un abri à proximité, et Njemanze s’en inquiète.

C’est si facile de dire aux personnes victimes d’abus et de violences de partir après la première gifle ou le premier coup, mais de quelles solutions disposent-elles au sortir de là ? Qui les aide ? Qui les accueille et surtout qui leur tend la main sans jugement ou sans les pousser à tout prix à retourner auprès de leurs bourreaux au moyen de paroles dévalorisantes et culpabilisantes ?

« Quel système est en place pour s’assurer qu’ils ne sautent pas de la poêle à frire au feu ? »

Au Nigeria, en France, au Mexique, peu importe où nous nous trouvons, la conclusion est la même : tout est à faire, tout est à refaire. Le processus d’aide aux victimes et survivants d’abus et de violences de toutes formes doit être implémenté de telle sorte que nous puissions voir sans détour les améliorations de leurs conditions de vie, ainsi que les efforts de la justice en vue de punir les responsables.

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