L’UA pourrait-elle devenir un arbitre neutre du conflit Russo-Ukrainien ?

L'UA pourrait-elle devenir un arbitre neutre du conflit Russo-Ukrainien ? Actualité & Info | Éditions Afrique

Lors d’une conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand Olaf Scholz à Dakar, tenue le 22 mai dernier, le président sénégalais Macky Sall déclarait qu’il se rendrait à Moscou et à Kiev dans les semaines à venir en tant que président de l’Union africaine (UA). Organisme qui, selon lui, souhaite « la paix par le dialogue entre les deux parties ».

Macky Sall a expliqué : « Nous ne voulons pas être alignés sur ce conflit, très clairement, nous voulons la paix », avant d’ajouter que : « Même si nous condamnons l’invasion, nous travaillons pour une désescalade, nous travaillons pour un cessez-le-feu, pour le dialogue … c’est la position africaine. »

Seulement, la question qui se pose est de savoir si l’organisme continental est véritablement « neutre » par rapport à l’Ukraine ? Peut-il vraiment favoriser la paix en entamant un dialogue entre les parties belligérantes depuis la position d’une entité non alignée ?

Chronologie des faits

Pour pouvoir répondre à ces questions, il serait judicieux de jeter un coup d’œil aux actions – et non aux déclarations – des dirigeants africains.

Le 2 mars, 17 États africains, dont le Sénégal de Sall, se sont abstenus de voter une résolution cruciale des Nations Unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’UA quant à elle, a snobé sans vergogne deux tentatives du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy de s’adresser à ses chefs d’État.

Ensuite, le 12 avril, Zelenskyy a demandé une audience avec les chefs d’État de l’UA lors d’un appel téléphonique avec Sall. Mais la rencontre demandée ne s’est pas concrétisée.

Plus tard dans le mois, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a révélé que le président ukrainien Zelenskyy, avait fait une deuxième demande pour s’adresser à l’UA par le biais du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba. Cette tentative, elle aussi, n’a donné aucun résultat tangible.

Macky Sall a ensuite promis de « réunir tous les chefs d’État de l’Union africaine qui souhaitent rencontrer Zelenskyy » à une date qui reste à confirmer. Le président de l’Union Africaine faisait alors là, un aveu déconcertant que tous les dirigeants africains ne sont pas disposés à rencontrer le dirigeant de la partie envahie et à obtenir des informations de première main de sa part. Cet aveu laissait également comprendre que l’UA n’essaierait même pas d’organiser la réunion tant souhaitée par Zelenskyy – qui inclurait tous les chefs d’État africains – par crainte d’offenser la Russie.

Le 24 mai, l’actuel président sud-africain et ancien président de l’UA, Cyril Ramaphosa, a dissipé les quelconques doutes qu’il y aurait encore quant au manque de sincérité de la revendication de « neutralité » de l’UA.

Alors qu’il s’adressait aux médias à Pretoria, toujours en compagnie de l’Allemand Scholz, le président Ramaphosa a décrit la Russie et l’Ukraine comme « deux entités belligérantes ». Il a aussi déploré les retombées économiques des actions violentes envers la Russie en accusant l’Occident d’être responsable d’une crise alimentaire mondiale émergente. Il a déclaré que les « spectateurs » vont « souffrir des sanctions qui ont été imposées à la Russie » – reprenant un argument avancé pour la première fois par le président russe Vladimir Poutine. Ce dernier avait déclaré en avril qu’en sanctionnant la Russie, les élites occidentales montraient qu’elles étaient prêtes à « sacrifier le reste du monde pour maintenir leur domination mondiale ».

M. Ramaphosa a également affirmé que l’Afrique « a un rôle à jouer car elle a accès aux deux dirigeants [Russie et Ukraine] ». Cependant – comme cela a été le cas avec l’UA en général – le gouvernement de Ramaphosa a longtemps été peu disposé à s’engager avec la partie ukrainienne.

Le 11 avril, c’est sur le réseau social Twitter que l’ambassadrice d’Ukraine en Afrique du Sud, Liubov Abravitova, a pris la parole pour se plaindre des hauts responsables sud-africains qui déclineraient ses demandes de rencontre depuis le début de l’invasion russe, en fin février. « Depuis le début de l’invasion russe, je n’ai eu aucune réunion demandée avec des responsables du gouvernement sud-africain », a-t-elle écrit, « 45 jours. Mon peuple subit une attaque brutale des Russes maintenant. » L’Afrique du Sud de son côté, a contesté sa demande et a insisté sur le fait que Ramaphosa voulait parler au président. Ramaphosa a finalement eu un entretien téléphonique de 20 minutes avec Zelenskyy le 20 avril – près de deux mois après le début de la guerre, et sept semaines après avoir appelé Poutine pour obtenir sa version du conflit.

Une Afrique partagée

Le refus obstiné de l’Afrique du Sud de condamner l’invasion de la Russie et la prise de bec diplomatique avec Abravitova contredisent fortement la « position africaine » que Sall a déclarée avec assurance à Dakar.

Manifestement, il y a des divisions profondes et étendues sur la signification et le caractère sacré du droit international dans les rangs des dirigeants de l’UA. Par exemple, le jour où Ramaphosa a tenté de protéger la Russie d’une condamnation mondiale à Pretoria, le président du Ghana, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, et le président du Mozambique, Filipe Jacinto Nyusi, ont fait exactement le contraire à Accra. « Nous condamnons tous deux l’invasion de l’Ukraine par la Russie et avons appelé à son arrêt immédiat car ses effets, ainsi que les ravages du COVID-19, se sont avérés dévastateurs pour le monde entier, en particulier pour ceux d’entre nous qui vivent sur le continent africain », a déclaré M. Akufo-Addo qui, contrairement à Ramaphosa, n’a pas blâmé les sanctions occidentales et a qualifié l’invasion de la Russie de menace massive pour la paix africaine et universelle.

Si l’invasion de l’Ukraine a pu sembler remarquablement éloignée des problèmes immédiats de l’homme et/ou de la femme africains ordinaires en février, aujourd’hui, les conséquences généralisées de la crise Russo-Ukrainienne commencent à faire mouche. Surtout au sein du continent africain dans lequel de nombreux pays dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour un pourcentage important de leurs importations de blé, d’engrais et d’huile végétale. Selon le FMI (Fonds monétaire international), l’Afrique est confrontée à la possibilité d’une instabilité généralisée en raison de la hausse rapide des prix des denrées alimentaires et de l’énergie. De ce fait, les charades diplomatiques redondantes, tout comme la confusion organisationnelle qui entourent la réponse de l’UA doivent cesser brusquement.

Seulement, quid des africains présents en Ukraine qui se font refouler aux pieds des pays voisins et terres d’accueil ? Demander à l’Afrique de choisir un camp et de façon explicite celui de l’Ukraine puis laisser ses fils et filles mourir à cause du racisme est considéré par beaucoup avec raison comme parfaitement déplacé. Il s’agirait d’assurer aux africains les mêmes droits et garanties qu’aux ukrainiens avant de leur demander de plonger tête baissée dans un conflit où ils ont tout à perdre.

Avant le départ de la délégation de Sall pour la Russie, il est impératif pour l’UA de se livrer à un examen de conscience approfondi et nécessaire.

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