Un bout de culture : L’histoire des prénoms entre sens et mythes au Sénégal

Un bout de culture : L'histoire des prénoms entre sens et mythes au Sénégal Actualité & Info | Éditions Afrique

Un prénom peut être commun ou original, mais il reste important voire sacré. Au-delà de permettre de différencier les personnes, il revêt également une histoire, une identité, qui parfois définit le caractère de celui qui le porte. Selon les pays, les ethnies et même les religions, il raconte une histoire différente.

En fonction du pays où on se trouve, on rencontre une multitude de prénoms, certains avec une signification précise, d’autres, avec juste une histoire. Le Sénégal n’échappe pas à cette catégorie. Du Peul au Sérère en passant par le Wolof et le Diola, même les religions révélées ont aussi joué leur partition dans le choix de ces dénominations souvent si singulières.

Une signification importante

Il existe des prénoms aux significations particulières qui peuvent aussi faire l’objet de moqueries et de railleries, surtout auprès de ceux qui en comprennent le sens.

Bougouma (je ne t’aime pas), Amul Yakaar (sans espoir), Ken Bugul (personne n’aime), Biti Loxo (l’extérieur de la main), Yadikoon (tu étais venu) ou encore Sagar (tissu sans valeur) sont ces quelques prénoms-là. Mais, malgré leur singularité, ils ont un sens particulier. C’est ce qu’explique Ndèye Codou Fall Diop, l’enseignante en écriture wolof au Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI).

D’après elle, ces dénominations ont la même source et sont donnés à des personnes dont la mère accouche et que son enfant meurt de façon répétée ou perd des enfants à bas-âge. Ces prénoms dits « yaradaal » sont toujours présents dans la société wolof et sont des noms conjuratoires attribués à des enfants pour éviter leur mort précoce dans un contexte familial de décès juvéniles à répétition.

Papa Ali Diallo, un spécialiste en sciences du langage affirme qu’il existe des prénoms qui d’apparence peuvent avoir une motivation à l’antinomie ou à la dévalorisation de l’enfant, pourtant au fond, ils ne sont qu’une stratégie des parents qui vise à assurer sa survie. Ces prénoms qu’on retrouve chez les Halpulaars sont donc destinés à « vaincre » la mort. Il s’agit notamment des prénoms tels que Tekkere assimilé à un morceau de tissu sans valeur, ou encore Ndoondi qui veut dire cendre.

Le prénom chez les Sérères

Les Sérères (ou « Serer », « Sereer », « Serere » et « Seereer ») sont un peuple d’Afrique de l’Ouest, surtout présent au centre-ouest du Sénégal, du sud de la région de Dakar jusqu’à la frontière gambienne. Ils forment, en nombre, la troisième ethnie du Sénégal, après les Wolofs et les Peuls.

On retrouve chez eux des prénoms comme Gaskel, Honan ou encore Nioowi, qui ont également trait à la mort. Selon les explications de Sobel Dione, un adepte et passionné de la culture Sérère, « on exorcise la mort en l’intégrant dans le nom du nouveau-né pour tromper les forces de la mort ». Pour cette ethnie, le nom et le prénom constituent une personne, et une figuration symbolique.

Dès la naissance, la trajectoire et le caractère de l’enfant sont tracés en fonction du prénom qu’il lui est donné. On y retrouve les prénoms Felwine (celui qui est aimé de tout le monde), Sédar (celui qui n’aura jamais honte), Mbougar (celui qu’on n’aime pas), Fakhane (la gentille ou la tendre), Ngor (le vrai homme), Mossane (la belle) ou encore Nokhor (le bagarreur).

Le prénom chez les Diolas

Les Diolas sont un peuple d’Afrique de l’Ouest établi sur un territoire qui s’étend sur la Gambie, le sud du Sénégal et la Guinée-Bissau. Ils sont composés de plusieurs sous-groupes et leur identité est caractérisée par l’usage des langues diola.

Selon l’anthropologue Paul Diédhiou, l’attribution du prénom chez les Diolas intervient entre un et six ans. Il renseigne que cette singularité se traduit par le fait que par le prénom, on peut appréhender les notions d’enfer, de paradis et de réincarnation. Le prénom diola a également ceci de particulier qu’il « meurt » (kukét) avec la personne qui le porte si toutefois cette dernière décède à la fleur de l’âge.

C’est pour ça que chez les Diolas, nommer une personne qui meurt jeune est synonyme de sacrilège. « C’est pour cette raison que l’on prend la précaution de prénommer les enfants entre un et six ans » explique Diédhiou.

Chez ce peuple, on retrouve aussi les prénoms basés sur un des traits de l’enfant. Ainsi, nous avons Djalissa (un enfant chétif), Djamissa (chétive pour une enfant), Akodji (le vilain) ou encore Anatolediakaw (la vilaine). Les Diolas sont aussi réputés pour nommer les enfants lorsque ces derniers sont capables de bien marcher ou courir.

Le prénom chez les Peuls

On retrouve aussi chez les Peuls, les prénoms avec des anthroponymes honorifiques, notamment Ceerno (savant/enseignant), Elimaan (imam). Le spécialiste en sciences du langage Ali Diallo explique qu’il existe d’autres appellations ayant des significations fortes. C’est le cas de Malaado (celui qui est béni), Mawɗo (homme mature), Cellu (celui qui est en bonne santé, entre autres), Gora (brave homme), Serigne (savant), Gorgui (homme mature), Soxna (une épouse) ou encore Magatte (femme ou homme mature), autant de noms qualificatifs retrouvés chez les Wolofs.

Le choix du prénom en fonction de la date de naissance

Selon les pays, l’attribution du prénom est aussi basée sur la date de naissance d’un enfant. C’est le cas au Togo, au Ghana et au Bénin. Au Sénégal, cela se fait à travers les ethnies.

Chez les Wolofs, on a les prénoms Aldiouma (vendredi), Tabaski, Gamou, Touba qui sont attribués par rapport aux circonstances de naissance.

Du côté des Sérères, le prénom marque l’existence sociale du bébé durant la cérémonie de baptême ou « Bat ». Sobel Dione explique le principe d’attribution du prénom dans ces circonstances. En principe, c’est la sœur du père qui donne le prénom à l’enfant. Elle peut choisir un nom dans la famille paternelle, mais les circonstances de la naissance peuvent orienter vers un autre. C’est la raison pour laquelle on retrouve chez cette ethnie des prénoms qui correspondent aux jours de la semaine. Téning pour lundi, Khémesse pour jeudi, Dibor pour dimanche et Latyr pour celui qui est né mardi.

Tandis que chez les Halpulaars, le prénom est choisi pour décrire un état physique chez l’enfant ou au moment où il est né. Ainsi, on retrouve Juulde qui désigne un enfant né le jour de la Tabaski, Korka pour celui né pendant le mois de Ramadan ou encore Saajo pour désigner un enfant né juste après des jumeaux.

Le prénom par ordre de naissance

Un autre critère d’attribution de prénoms est l’ordre de naissance. Un enfant porte un nom précis en fonction de l’ordre de sortie ou d’arrivée dans le monde.

Ces prénoms généalogiques sont retrouvés chez les Peuls où ils sont donnés en fonction de l’ordre de naissance du côté de la mère. Ali Diallo explique que par rapport à la fratrie, l’aîné doit s’appeler traditionnellement Dikko, le suivant Samba, le troisième Demba, etc. Tandis que chez les femmes, l’aînée s’appelle Dikko ou Saara, ensuite Kumba, Demmo, Penda, Daado et ainsi de suite. Les jumeaux quant à eux, s’appellent Subboo et Gunndoo, qu’ils soient des filles ou des garçons et celui qui les suit s’appelle Saajo, sans distinction de sexe.

Avec l’avènement de l’islam, les choses sont différentes chez les Halpulaars où la filiation se fait par les mâles. C’est donc au père que revient le droit de choisir un dénominatif pour le nouveau-né. Il y a donc une juxtaposition du prénom de l’enfant et celui du père. D’après Ali Diallo « cela caractérise une sorte d’identité nominale. On s’identifie d’abord par rapport à son père ». Ce critère permet aussi, de faire la distinction entre des enfants ayant le même prénom. Cette juxtaposition du prénom intervient dans certains cas où une femme peule se marie avec un homme qui n’est pas de son ethnie. La famille maternelle peut ajouter le nom de la mère lors du baptême de l’enfant pour s’approprier le nouveau-né.

Du côté des Sérères, Sobel Dione liste des prénoms pour démontrer qu’ils varient en fonction du rang de ceux qui les portent au sein de la famille. Il existe entre autres Mame Koor (le grand-père), Mame Ndew (la grand-mère), Makane (l’aînée des jumelles), Ndébane (la cadette des jumelles), Ngormack (l’aîné des jumeaux) et Ngor Ndéb (le cadet des jumeaux).

Un enfant peut porter le prénom de son père biologique chez les Diolas, mais à condition d’y associer le terme « ampa » pour les garçons ou « agno » pour les filles. L’enfant peut également porter le prénom de son grand-père soit Ampasibakouty pour le garçon et de sa grand-mère soit Ajowbuyonah pour les filles.

L’influence des religions abrahamiques

Avec l’arrivée des religions abrahamiques et de leurs textes, les peuples se sont mis à adopter leurs prénoms et à les donner à leurs progénitures. Dione constate avec amertume la disparition des prénoms sérères à cet effet. Pour lui qui prone les valeurs et l’importance des prénoms des ancêtres, il ne comprend pas pourquoi cet abandon de l’identité culturelle, qui est influencée dans le choix des dénominations.

Surtout que d’après lui, chaque peuple a maintenu l’essentiel de son identité malgré que les religions aient la même origine. « Nous pouvons nous apercevoir qu’un prénom musulman ou chrétien n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des prénoms propres à chaque peuple, selon les coutumes, la culture, l’histoire », déclare-t-il comme argument en faveur d’un retour à la source.

Les Wolofs ne sont pas en reste car eux aussi, ont subi l’influence des prénoms amenés par les religions révélées. Ndèye Codou Fall Diop, explique qu’il y a eu un mix entre les prénoms dits « ceddo » et ceux tirés de la religion. C’est l’exemple des personnes qui se convertissent tout en gardant leur nom « ceedo » ou se retrouvent avec deux appellations, comme on peut le voir avec Birima qui est l’équivalent d’Ibrahima ou encore Bakary qui est l’équivalent de Babacar, valables dans la religion.

Chez les Halpulaars également, la religion musulmane a joué un rôle important dans le choix des prénoms. Elle interdit par exemple de donner à l’enfant certains noms jugés dévalorisants, des noms de mécréants, d’animaux ou de Satan ; de noms renvoyant à des objets ou choses immoraux. C’est ainsi que certains prénoms ont été abandonnés pour d’autres. Mais, malgré cela, les Halpulaars ont essayé de garder certains noms traditionnels, explique Ali Diallo qui confie que ce peuple a essayé de traduire certains noms comme Yakhya qui est l’équivalant de Wourib, afin de le préserver.

L’influence des religions révélées est réelle chez les Diolas, note Paul Diédhiou, qui constate qu’à l’exception du culte de la circoncision, beaucoup de cultes ont disparu et les prénoms traditionnels sont souvent relégués au second plan.

Avec les religions révélées, de nouvelles règles en matière de prénoms ont été observées. Par exemple, des musulmans peuvent se retrouver avec des prénoms chrétiens et vice-versa. Selon Mame Guimar Diop, administratrice du groupe Léppi mbooru Wolof, « Histoire générale des Wolofs », cette homonymie est due à une longue cohabitation entre chrétiens et musulmans dans les quatre anciennes communes (Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque), à des liens de parenté, au brassage et aux relations matrimoniales entre ces Wolofs. Comme quoi, le nom n’est pas propre à une communauté (tuur dëkul fen).

Qu’il soit lié à une ethnie, à une religion, à l’ordre de naissance ou même qu’il soit un hommage fait à une personne chère, un prénom reste un caractère très important propre à chacun. C’est par lui que tout commence et c’est par lui que tout finit, car au-delà de tout, s’il y a bien une chose que l’on retiendra de nous, c’est notre appellation.

Son les choix, qui n’est pas de notre ressort certes, n’en demeure pas donc moins important. Qu’on ait pour ambition de donner un prénom lourd de sens ou de responsabilité à un enfant, il est du devoir de ceux à qui revient cette tâche, de choisir un joli prénom car comme le dit l’Imam Makhtar NDIAYE, « l’être humain est sacré, on doit lui choisir un joli nom ».

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