la RCA a vécu d’effroyables évènements il y’a de cela 03 ans. Le 21 mai 2019, les populations des localités de Koundjili et Lemouna, dans le nord-ouest de la Centrafrique, vivaient des événements tragiques qui seront à jamais marqués dans leurs mémoires. Entre violences, meurtres et crimes sexuels, ces membres du groupe armé 3R, ont fait subir des horreurs à ces personnes. Après plusieurs mois d’audience, la Cour Pénale Spéciale (CPS) a enfin rendu son verdict, qui n’est autre que le premier de son histoire.
Les accusés sont Adoum Issa Sallet, Ousmane Yahouba et Tahir Mahamat. Trois anciens membres du groupe armé « Retour, Réclamation et Réhabilitation » (3R).
Violence, meurtre et crime sexuel: Retour sur des faits tragiques
À leur arrivée à Lemouna, les membres du 3R ont rassemblé des hommes en leur faisant croire qu’ils voulaient tenir une réunion. Une fois rassemblés, les accusés ont ligoté leurs victimes avant de leur ordonner de se coucher face contre le sol. Ils ont ensuite ouvert le feu sur eux à bout portant pour un bilan de 21 civils massacrés et 1 autre égorgé dans la brousse pendant leur repli.
En plus de ces exécutions barbares, les accusés ont violé plusieurs femmes. Selon le dossier regroupant tous les faits retenus contre eux, ils auraient exécuté 15 personnes et violé 6 femmes dont 2 mineures.
Les faits ont été rapportés par Alain Tolmo le substitut du procureur de la CPS et le parquet qui a désigné Issa Sallet comme le commandant des opérations. Accusations refutées par ses avocats qui nient la responsabilité de leur client, tout en estimant que le contexte de crimes commis ne permet pas de qualifier les faits de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’un des chefs d’accusations retenus contre les accusés. Pour les avocats de Sallet, il n’y avait pas d’affrontement à l’époque et la cour devait se déclarer incompétente.
RCA:Le déroulement du procès à la cour pénale spéciale
La Cour pénale spéciale est un tribunal hybride créé avec le soutien de l’ONU en 2015. Basé à Bangui, la capitale, il est constitué de magistrats centrafricains et internationaux. Après près de 7 mois d’audiences où les 3 accusés n’ont eu de cesse de rejeter la faute les uns sur les autres, ils ont enfin été jugés.
Ils ont été arrêté 3 jours après les faits reprochés et leur procès s’est ouvert en avril dernier. Le 18 mai dernier, l’accusé Yahouba faisait sa déposition dans laquelle il reconnaissait avoir été le chef-adjoint de la mission qui s’est rendue à Lemouna pour récupérer des bœufs volés par des éléments d’un autre groupe armé appelé « Révolution Justice » (RJ). Mission durant laquelle 22 civils ont été abattus.
Yahouba a également rejeté son implication directe dans la commission du crime. Il a déclaré avoir reçu l’ordre d’Issa Sallet Adoum alias « Bozizé », de récupérer de gré ou de force les cheptels volés. Seulement, d’après son avocat, Yahouba aurait choisi d’être une « baïonnette intelligente » et a refusé d’exécuter à la lettre les instructions de son chef.
Le verdict final
Le verdict de la CPS est tombé ce 31 octobre. Les 3 accusés sont reconnus coupables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en 2019 et ayant causé la mort de plus d’une quarantaine de civils. Dans plus de détails, ils ont été reconnus coupables de meurtres, actes inhumains et traitements humiliants et dégradants.
Ousmane Yahouba et Tahir Mahamat ont écopé d’une peine de vingt ans de prison chacun. De son côté Issa Sallet, en tant que chef militaire, a été reconnu coupable de « viols commis par ses subordonnés, constitutifs de crimes contre l’humanité et crimes de guerre ». Il a été condamné à perpétuité. La situation personnelle et familiale des accusés notamment la perte d’un membre proche dans les conflits, a été relevée par les juges pour justifier de leur manque d’éducation et a amené les juges à retenir cela comme circonstances atténuantes.
En revanche, les accusés ont été acquittés du crime de torture. La chambre s’est dit « pas convaincue que les actes soient d’une gravité objective suffisante pour constituer le degré de souffrance requis pour la torture ». Pour eux, le mode opératoire des assaillants faisait partie de leur plan d’étendre leur zone d’influence et de contrôler les itinéraires saisonniers de migration du bétail.
La chambre a aussi retenu que le caractère organisé des actes de violence et l’improbabilité de leur caractère isolé et fortuit. En d’autres termes, les accusés avaient l’intention et la conscience des attaques qu’ils allaient mener puisqu’ils ont reçu des ordres allant dans ce sens et n’ont pour autant pas refusé de participer à l’exécution de cette mission.
Pour justifier du chef d’accusation portant sur les crimes de guerre, la chambre a évoqué les conflits présents dans le pays depuis 2013 et le affrontements entre groupes armés dont les 3R, les RJ, les Antibalaka et les forces gouvernementales, durant lesquels les accusés ont combattu et agi « au nom et pour le compte d’un groupe armé organisé, au cours d’une mission officielle et ce, dans l’exécution d’une politique idéologique bien définie ».
Entre justice et frayeur
Quant aux victimes et autres survivants, malgré le soulagement de voir enfin un procès parvenir à son terme, il persiste cependant la frayeur, notamment vis-à-vis des autres rebelles armés avec qui ils vivent pratiquement en cohabitation.
Sur les 23 témoins ayant comparu entre avril et août, un des 4 rescapés des massacres de Lemouna a révélé à la Cour y avoir échappé de justesse. Le jeune homme d’une trentaine d’années, avait du mal à s’exprimer, ne supportant pas la vue des accusés tenus juste en face.
Durant le procès, on pouvait les voir partagés entre leur volonté de connaître les causes de leur malheur et la crainte de représailles par des éléments des 3R qui sont présents dans la région. Un habitant de Koundjili a d’ailleurs par’e d’un contraste entre l’insécurité et la justice qui continue d’affecter les vies des victimes au quotidien.
Pour Me Claudine Bagaza, l’une des avocates des parties civiles, l’attitude des victimes est une preuve de leur frustration et de leur peur. Bien qu’ils aient été psychologiquement préparés à ce moment, les faits montrent qu’il y a une question de protection qui se pose.
Dans l’attente des réparations
Après le verdict, les condamnés jouissaient du droit de faire appel dans les trois jours suivants. Mais, en dehors de cela, une audience est prévue le 4 novembre pour traiter des sujets relatifs aux indemnités et réparations.
Le président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme, Joseph Bindoumi s’est dit heureux du verdict mais qu’il était à présent temps de se focaliser sur les réparations qui sont la partie la plus intéressante et importante car « pour qu’il y ait une véritable justice dans un pays, il faudrait que les crimes qui ont été commis fassent l’objet d’une réparation. »
Pour Francine Evodie Ndemade, la coordinatrice nationale des victimes de la crise en République (CNAV-CA), ce verdict représente à la fois une thérapie et aussi un signal fort envoyé aux auteurs des crimes graves en Centrafrique. Pour elle et l’institution qu’elle représente, le plus important est la prise en charge et l’accompagnement des victimes car la page des crimes graves et autres atteintes des droits n’est pas encore tournée.
Même s’il représente une victoire pour les victimes, ces dernières n’en sont pas moins inquiètes état donné la lenteur des procédures du procès. Alors que cette lenteur de la cour dans l’exécution de son mandat fait grandir les craintes des victimes, d’autres observateurs s’interrogent sur sa capacité à traiter ses autres dossiers. Surtout qu’après ce procès, la Cour a, comme qui dirait, montré que d’autres procès pour juger les divers crimes du genre, auront lieu.